« Récemment, dans le cadre d’une émission de télévision française intitulée Les tabous de la naissance, une psychanalyste de
Nantes affirmait que l’instinct maternel n’existe pas, qu’il s’agit plutôt d’un mythe.
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Si on a pu en venir à réduire l'instinct maternel à un simple mythe, c'est que notre culture a réussi un exploit considérable en altérant la nature des comportements instinctifs de la mère de même que ceux du bébé. »
~ Lysane Grégoire (mars 2008)
Présidente Groupe MAMAN, Directrice générale Mieux-Naître à Laval
« Récemment, dans le cadre d’une émission de télévision française intitulée Les tabous de la naissance, une psychanalyste de Nantes affirmait que l’instinct maternel n’existe pas, qu’il s’agit plutôt d’un mythe.
Elle appuyait son affirmation sur le fait que certaines mères font de graves dépressions postpartum et peuvent connaître d’importants problèmes d’attachement à leur bébé, situation pouvant se dégrader jusqu’à l’hospitalisation de la mère. Le gynécologue invité sur le même plateau n’a pas hésité une minute à renchérir en alléguant que si la chienne ou la chatte sait reconnaître son petit, de son côté, la femme qui vient d’accoucher et qui sera placée devant dix bébés ne saura reconnaître le sien. Effectivement, concluait-il, l’instinct maternel n’existe pas, ce n’est qu’une construction psychique.
L'instinct maternel a été maintes fois galvaudé à tort et à travers, aussi, revenir à sa définition n’est pas inutile. Sous le mot instinct, le Petit Robert indique :
Impulsion qu'un être vivant doit à sa nature; comportement par lequel cette impulsion se manifeste.
1 (1580)Tendance innée et puissante, commune à tous les êtres vivants ou à tous les individus d'une même espèce.
2 Sc.Tendance innée à des actes déterminés (selon les espèces), exécutés parfaitement sans expérience préalable et subordonnés à des conditions de milieu; ces actes.
La première partie de la définition est déjà très éclairante. L’instinct maternel serait ainsi une impulsion que l'on doit à notre nature. Ce n'est rien de mythique ou de spirituel, pas plus qu’une notion abstraite ou indéfinie qu'on a ou qu'on n'a pas. Notre nature humaine, fruit de l’évolution des espèces, nous a dotés d'un cerveau ultra complexe, d’une condition de mammifère et d'une gamme de glandes sécrétant une variété d'hormones. De ce fait, dès la grossesse et à la naissance d'un bébé, tout un scénario s’active dans le cerveau et le corps de la mère. Une série de mécanismes biologiques finement mis au point au cours de l’évolution amène la mère à être envahie d'une sensation extraordinaire qui participe au développement du sentiment d'attachement absolument nécessaire à la survie de l'espèce. Les effets de l’ocytocine, baptisée hormone de l’amour par le Dr Michel Odent, sont maintenant bien connus. Sécrétée lors de l’accouchement, de l’allaitement et des contacts peau à peau, cette hormone joue un rôle clé dans l’établissement puis le renforcement du lien (bonding) entre la mère et l’enfant. Cette même hormone est également produite lors des relations sexuelles et contribue ainsi à l’attachement des partenaires l’un à l’autre et augmente leur confiance mutuelle.
Le bébé aussi a des comportements instinctifs, « une tendance innée à des actes déterminés exécutés parfaitement sans expérience préalable » : la succion et la recherche du sein. Depuis la nuit des temps, les mères sont attirées physiquement par leur bébé, ce dernier est « conçu » pour être irrésistible à sa mère. Son aspect général, son crâne disproportionné, ses grands yeux, ses joues rebondies, ses membres courts et épais, ses gestes gauches... ces caractéristiques qui constituent la « physionomie du mignon » séduisent et attendrissent à coup sûr. Nous avons des instincts liés à la survie de notre espèce dont le petit a la caractéristique d’être particulièrement dépendant des soins de l’adulte et ce, assez longtemps comparativement à nos cousins les primates ou nos collègues les mammifères.
L'instinct maternel c'est tout simplement ça, c'est l'inquiétude viscérale (et pas nécessairement rationnelle) devant la séparation de son bébé, c'est l'élan impulsif qui nous pousse à serrer, embrasser, caresser, s'émouvoir devant un bébé saoulé de sa dernière tétée. Toutes choses qui se résument plus joliment par le mot « amour ». Quel charmant ciment la nature a concocté pour faire en sorte que les mères prennent soin de leur progéniture! Qu'est-ce qu'il y a de mythique dans tout cela?
Si on a pu en venir à réduire l'instinct maternel à un simple mythe, c'est que notre culture a réussi un exploit considérable en altérant la nature des comportements instinctifs de la mère de même que ceux du bébé. Ainsi, dans nos sociétés modernes et développées, les bébés se sont un jour vus accueillis par des mains étrangères et emportés aussitôt à l’écart de leur mère, sur une table pour examen, nettoyage et emmaillotage. Puis, après un bref coup d'œil accordé à la mère (si elle n'était pas carrément anesthésiée), bébé était dirigé vers une pouponnière pour y être nourri à heures fixes, au biberon, et calmé par une suce entre ses boires. Dès la naissance de son bébé, la mère s'est fait raisonner (c’est bien connu, la fraîche accouchée a tendance à être déraisonnable), pour qu'elle se repose tandis que d'autres s'occuperaient très bien (mieux) de son petit. Le biberon était pour ainsi dire imposé, bien plus scientifique et sur que le liquide corporel méconnu produit par la mère en quantité tout aussi inconnue et fort probablement insuffisante. Les bras de la mère ont été remplacés par la poussette. Sa couche partagée avec ses petits depuis l’origine de l’humanité a été supplantée par une cage à bébé « sécuritaire » isolée dans une chambre joliment décorée, la vigilance de sa proximité par un moniteur à piles, le réconfort de son sein par un suce de caoutchouc, la balade sur hanche de maman par une session en balançoire vibrante.
Combien de femmes ont été privées des hormones de l'allaitement directement reliées aux comportements instinctifs maternels ? Combien d’autres n’ont pas connu les hormones du travail et de l'accouchement parce qu’elles ont subi une césarienne bien souvent sans motif médical suffisant, et parmi elles, combien en ont conçu un sentiment d'incompétence qu'elles n'ont jamais pu surmonter ?
Ainsi, une société constituée de mères affectées dans leur identité de femme, handicapées par une culture qui cherche à annihiler leurs instincts, est devenue une norme. Parmi toutes ces femmes à l’instinct maternel paralysé, il s'en trouve un nombre significatif à être atteintes au point de ressentir que leur bébé est un étranger, à sentir la maternité comme un envahissement qui les submerge. Et ce n’est pas tout, le problème ne se limite pas à une carence hormonale. En plus d’être assujetties à des mœurs d'accueil au bébé inadéquates, les mères d’aujourd’hui sont plongées dans un système de valeurs qui élève l'individualisme et la réalisation de soi au rang du plus grand des accomplissements. Dans un monde où la grossesse est vue comme une menace de déformation du corps, où la maternité est une période d'exclusion sociale et surtout, un renoncement, un don de soi, comment ne pas se sentir assaillie et accablée. Notre culture a perdu le sens de la vie, a perdu de vue qu'aimer un bébé est un bonheur, un plaisir qui découle de notre nature animale, un état lié à notre survie, un geste de la plus grande importance puisqu’il est déterminant pour la santé globale et l’équilibre de nos enfants.
Pour suivre son élan et par cohérence avec ses valeurs, notre culture a besoin de concevoir que l'instinct maternel n'est qu'un mythe. C'est pratique de nier l'instinct maternel, s'il fallait rendre nos sociétés favorables à l'expression de cet instinct, c'est tout un monde échafaudé sous le règne de la productivité qu'il faudrait ébranler, et c’est ce que cherchent à faire plusieurs d'entre nous.
Reconnaître l'existence de l’instinct maternel ne doit pas correspondre à nier la détresse des victimes de notre culture qui ne
ressentent plus cet instinct, ni à tomber dans le piège facile de la culpabilisation. Reconnaître l’instinct maternel, c’est revendiquer notre spécificité de femme, c’est une démarche féministe
de réappropriation des événements liés à notre maternité et pour ce faire, il faut sensibiliser largement nos congénères à la perte culturelle dont nous souffrons toutes et tous. »